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\n\nPour \xe9couter cette chronique\n\n
\n\nPatronat\net syndicats de salari\xe9s n\xe9gocient actuellement un renouvellement du contrat\nsalarial. Que sortira-t-il de leurs discussions ? bien malin qui peut le\ndire. On sait que le gouvernement, qui vient d\u2019accorder aux entreprises des\navantages significatifs sous forme de cr\xe9dit d\u2019imp\xf4ts, exerce une pression\nforte pour que les organisations patronales trouvent un terrain d\u2019entente avec\nles syndicats ouvriers. Les n\xe9gociations promettent d\u2019\xeatre difficiles et on ne\npeut exclure une intervention de l\u2019Etat qui, faute d\u2019accord des partenaires\nsociaux, l\xe9gif\xe8re, au grand dam, d\u2019ailleurs, des patrons eux-m\xeames qui seront\nles premiers \xe0 se plaindre de ce que les d\xe9put\xe9s et s\xe9nateurs auront multipli\xe9\nles amendements qui leur d\xe9plaisent.\n\n
\n\nCette\nsituation n\u2019est pas nouvelle. On pourrait m\xeame dire qu\u2019ele est end\xe9mique et\nqu\u2019elle explique, d\u2019une certaine mani\xe8re, la prolif\xe9ration de notre droit\nsocial et de toutes ces r\xe9glementations dont les employeurs se plaignent si\nfr\xe9quemment. Pour dire les choses simplement, l\u2019hypertrophie de notre droit\nsocial est, pour beaucoup, le fruit de la faiblesse du dialogue social dans\nnotre pays. Plut\xf4t que de s\u2019en plaindre, les organisations patronales devraient\ns\u2019interroger sur les causes de ce d\xe9ficit, mais cela leur est naturellement\ndifficile alors m\xeame que beaucoup de leurs membres ont d\xe9velopp\xe9 une v\xe9ritable\nphobie des syndicats.\n\n
\n\nLe cas du salaire minimum\n\nLe cas du salaire minimum est exemplaire de la mani\xe8re dont\nle d\xe9ficit de dialogue social favorise l\u2019effervescence r\xe9glementaire. Dans un\narticle publi\xe9 il y a quelques mois, Philippe Aghion, un \xe9conomiste qui\nenseigne \xe0 Harvard et a conseill\xe9 S\xe9gol\xe8ne Royal et Fran\xe7ois Hollande, a montr\xe9\nque les pays dans lesquels les relations sociales sont vivantes, ceux dans\nlesquels les organisations syndicales sont puissantes et en mesure de n\xe9gocier,\nsont aussi ceux dans lesquels les l\xe9gislations sur le salaire minimum sont le\nplus rares (Can policy interact with\nculture ? Minimum wage and the quality of labor relations). Il y a,\npour dire les choses de mani\xe8re plus savante, une forte corr\xe9lation n\xe9gative\nentre les effectifs des organisations syndicales et les lois sur le salaire\nminimum. Les pays nordiques qui ont des syndicats puissants font sans. A\nl\u2019inverse, la France ou la Gr\xe8ce, deux pays dans lesquels les syndicats sont\ntr\xe8s faibles ont une l\xe9gislation rigoureuse sur le sujet.\n\n
\n\nOn comprend bien pourquoi : l\xe0 o\xf9 les syndicats ne\npeuvent rien obtenir par la n\xe9gociation parce que trop faibles, l\u2019Etat se\nsubstitue \xe0 eux. Mais, et c\u2019est ce qui se produit en France depuis des\nd\xe9cennies, plus l\u2019Etat intervient, plus les syndicats s\u2019en trouvent\naffaiblis : pourquoi se syndiquer si l\u2019Etat intervient, si l\u2019on peut\nobtenir le m\xeame r\xe9sultat en votant une fois tous les quatre ou cinq ans ?\nl\u2019intervention de l\u2019Etat pour compenser la faiblesse syndicale ne fait que\nl\u2019aggraver. \n\n
\n\nCette situation se complique de ce que plus les syndicats\nsont faibles plus leurs membres, leurs militants se sp\xe9cialisent dans la\ngestion des organismes paritaires au d\xe9pens de l\u2019action sur le terrain aupr\xe8s\ndes salari\xe9s. Ce qui conduit, dans le cas fran\xe7ais, \xe0 une sorte de blocage de\nnos institutions dont on vient d\u2019avoir une belle illustration. \n\n
\n\nOn le sait, le gouvernement a choisi de r\xe9duire de mani\xe8re\nsignificative le co\xfbt du travail. S\u2019il l\u2019a fait en choisissant un cr\xe9dit\nd\u2019imp\xf4t plut\xf4t que le transfert des cotisations patronales vers la CSG ou la\nTVA, c\u2019est que cela aurait conduit \xe0 un casus belli avec les organisations\nsyndicales qui risquaient de perdre une multitude de postes dans les organismes\ngestionnaires, comme, par exemple, les caisses d\u2019allocations familiales. Rien\nn\u2019aurait justifi\xe9, une fois qu\u2019elles auraient \xe9t\xe9 financ\xe9es par l\u2019imp\xf4t que\nsi\xe8gent \xe0 leur conseil d\u2019administration des repr\xe9sentants des organisations\nsyndicales ouvri\xe8res et patronales. Ce sont 1632 administrateurs, 16 par\ncaisses et il y en a 102 caisses, qui auraient pu \xe0 terme perdre leur poste. On\ncomprend que le gouvernement se soit m\xe9fi\xe9.\n\n
\n\nOn a l\xe0, donc, une machine infernale. La faiblesse syndicale\nse nourrit d\u2019elle-m\xeame pour le plus grand tort des salari\xe9s mais aussi de\nl\u2019\xe9conomie, de sa comp\xe9titivit\xe9. Oui, de la comp\xe9titivit\xe9, car l\u2019on a d\xe9couvert\nque les syndicats n\u2019\xe9taient pas, comme le croient trop volontiers les lib\xe9raux\net les organisations patronales, un frein \xe0 la productivit\xe9. Bien au contraire,\nde bonnes relations sociales l\u2019am\xe9liorent. C\u2019est ce qui ressort en tout cas des\ntravaux r\xe9cents de Gilbert Cette, sur des donn\xe9es fran\xe7aises, et de quelques\nautres sur des donn\xe9es am\xe9ricaines et allemandes (Labour\nrelations quality and productivity: an empirical analysis on french firms.)\n\n
\n\nDes syndicats puissants am\xe9liorent la qualit\xe9 de\nl\u2019information des entreprises \n\nIl ne s\u2019agit \xe9videmment pas d\u2019\xeatre na\xeff et de penser qu\u2019il\nsuffirait de syndicats puissants pour am\xe9liorer la comp\xe9titivit\xe9 d\u2019une\nindustrie. On a, bien \xe9videmment, de nombreux exemples du contraire. Mais\nvoyons ce qui se passe lorsqu\u2019un syndicat s\u2019\xe9tiole dans une entreprise. D\u2019un\ncot\xe9, et ce peut \xeatre le bon cot\xe9 pour les employeurs, les conflits sociaux\ns\u2019espacent, les jours d\u2019arr\xeat pour faits de gr\xe8ve diminuent, les r\xe9unions du\ncomit\xe9 d\u2019entreprise se passent mieux, les tensions apparentes disparaissent.\nMais de l\u2019autre, l\u2019entreprise perd une source d\u2019information importante sur les\nprobl\xe8mes qui peuvent surgir en son sein. Les syndicats, lorsqu\u2019ils sont\npuissants, lorsqu\u2019ils ont des contacts r\xe9guliers avec les directions font\ncirculer des informations qui sont autrement bloqu\xe9es par la structure\nhi\xe9rarchique. \n\n
\n\nTout cela peut para\xeetre th\xe9orique, mais ne l\u2019est pas. Je\nprendrai un exemple banal mais que j\u2019ai v\xe9cu dans un \xe9tablissement du groupe\nAlcatel il y a quelques ann\xe9es. C\u2019\xe9tait une usine dans la r\xe9gion parisienne\nconstruite \xe0 l\u2019ancienne avec une toiture en shed, en dents de scie avec de\ngrandes surfaces vitr\xe9es. L\u2019une de celles-ci \xe9tait cass\xe9e. En hiver, les\nouvriers qui travaillaient en dessous avaient froid, recevaient de la pluie\nlorsqu\u2019il en tombait, refusaient donc d\u2019occuper les postes expos\xe9s, d\u2019o\xf9 des\nconflits quotidiens avec les chefs d\u2019\xe9quipe. Le contrema\xeetre de l\u2019atelier le\nsavait et protestait r\xe9guli\xe8rement, mais il \xe9tait incapable de se faire\nentendre de la direction de l\u2019usine, le responsable de l\u2019entretien qui avait un\nbudget \xe9triqu\xe9 avait toujours affaire plus importante \xe0 traiter. Lorsque les\nouvriers se sont plaints au syndicat, celui-ci a imm\xe9diatement fait remonter\ncette affaire au sommet en indiquant que si rien n\u2019\xe9tait fait l\u2019atelier se\nmettrait en gr\xe8ve. Dans les jours qui ont suivi la d\xe9cision a \xe9t\xe9 prise de\nr\xe9parer le toit d\xe9faillant. Les tensions dans l\u2019atelier ont disparu et sa\nproduction s\u2019est am\xe9lior\xe9e.\n\n
\n\nCe n\u2019est qu\u2019un exemple mais on pourrait en trouver mille\ndans le quotidien des entreprises. \n\n
\n\nAutre dimension souvent n\xe9glig\xe9e de l\u2019action syndicale\n: la gestion des tensions et des conflits. Est-ce parce qu\u2019on en entend surtout\nparler \xe0 l\u2019occasion de conflits graves qui conduisent \xe0 la gr\xe8ve, on a en\ng\xe9n\xe9ral le sentiment que les syndicats mettent syst\xe9matiquement de l\u2019huile sur\nle feu. Leur r\xf4le est en r\xe9alit\xe9 bien plus subtil. Ils arbitrent entre tous les\nmotifs de m\xe9contentement qui remontent jusqu\u2019\xe0 eux. Ils font le tri dans les\nconflits et ceci, en fonction des rapports de force avec la direction. Ils font\navancer les dossiers qui leur paraissent suscceptibles d\u2019aboutir ou de\nrecueillir un fort assentiment des salari\xe9s. Ils calment le jeu pour tout le\nreste.\n\n
\n\nPuissants, ils mettent en avant les conflits qui concernent\nun grand nombre de personne, qui leur permettent de mobiliser beaucoup de\nsalari\xe9s pour atteindre un objectif gr\xe2ce \xe0 l\u2019action au sein de l\u2019entreprise,\ntracts, prises de parole, manifestation, arr\xeats de travail\u2026 Lorsqu\u2019ils sont\nfaibles et qu\u2019ils n\u2019arrivent pas \xe0 mobiliser sur des probl\xe8mes collectifs,\ncomme cette vitre bris\xe9e dont je parlasi \xe0 l\u2019instant, ils mettent l\u2019accent sur\nles conflits individuels qui se traitent \xe0 l\u2019ext\xe9rieur de l\u2019entreprise, devant\nle juge. La mont\xe9e en puissance des affaires li\xe9es au harc\xe8lement moral est\ndirectement corr\xe9l\xe9e \xe0 la faiblesse de l\u2019action syndicale. C\u2019en est un\nsubtitut. Moins les syndicats peuvent agir au sein m\xeame de l\u2019entreprise avec\nles moyens traditionnels de la lutte ouvri\xe8re, plus ils s\u2019adressent \xe0 la\njustice.\n\nOr, ce n\u2019est une bonne chose pour personne. Ce n\u2019en est pas\nune pour la victime qui se retrouve isol\xe9e dans son combat et souvent rejet\xe9e\npar ses coll\xe8gues. Le plus douloureux dans les cas de harc\xe8lement, c\u2019est\nsouvent l\u2019indiff\xe9rence ou l\u2019hostilit\xe9 des coll\xe8gues, or ceux-ci sont tr\xe8s\nprompts \xe0 trouver que la victime exag\xe8re, qu\u2019elle en fait trop. Ce n\u2019en est pas\nune non plus pour celui que l\u2019on accuse, \xe0 tort ou \xe0 raison, de\nharc\xe8lement : bien loin de l\u2019image d\u2019Epinal de l\u2019employeur occup\xe9 \xe0\nd\xe9fendre becs et ongles les cadres accus\xe9s, la r\xe9alit\xe9 est qu\u2019ils sont, le plus\nsouvent, \xe0 leur tour ostracis\xe9s, condamn\xe9s par leurs pairs et mal vus de leur\ndirection qui se serait pass\xe9e de ce genre d\u2019affaire. Il faut avoir vu un cadre\naccus\xe9 de harc\xe8lement pour comprendre combien cela peut \xeatre douloureux, m\xeame\ns\u2019il est effectivement coupable. \n\n
\n\nJ\u2019ajouterai enfin que si les faits qui ont conduit \xe0 cette\naccusation de harc\xe8lement sont li\xe9s \xe0 la structure, \xe0 l\u2019organisation de\nl\u2019entreprise, \xe0 sa culture, \xe0 la charge de travail\u2026 ce ne peut pas \xeatre trait\xe9\nau tribunal qui ne juge que des cas singuliers.\n\n
\n\nLa qualit\xe9 des relations sociales am\xe9liore les performances\n\nDes organisations syndicales puissantes, qui r\xe9unissent de\nnombreux salari\xe9s, sont donc utiles dans plusieurs cas de figure :
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