Reportage international - Face à une troisième vague de l'épidémie, la situation au Japon s'aggrave

Published: Dec. 23, 2020, 11:19 p.m.

L'armée a dû être envoyée en renfort dans les hôpitaux des régions les plus touchées par le coronavirus. Et à Tokyo par exemple, on dénombre en ce moment sept fois plus de contaminations quotidiennes que pendant la deuxième vague, cet été. Résultat : le système hospitalier nippon – pourtant réputé pour sa qualité – arrive à saturation. Reportage de notre correspondant à Tokyo. Dans cet hôpital du centre de la capitale, les 60 lits de soins intensifs réservés aux malades du Covid-19 sont désormais tous occupés. Et, selon les deux responsables du service, la situation devient de plus en plus compliquée à gérer. « Je travaille en soins intensifs depuis plus de 20 ans et, franchement, un tel chaos, une telle panique, je n'avais jamais vécu cela. Jamais. On sent bien qu'on est sur la corde raide et que le service peut s'écrouler à tout moment. À cause d'un cluster qui se développerait parmi le personnel soignant, par exemple. Ça, c'est vraiment ma hantise. Cela m'effraie tellement que j'en viens souvent à prier pour que cela ne se produise pas. Les deux premières vagues avaient été dures mais là, depuis le début de la troisième, on vit des journées qui sont encore plus exténuantes et stressantes », raconte un soignant. « Cette tension permanente, c'est éprouvant. Finalement, on connaît encore assez mal ce nouveau coronavirus. Donc nous, les soignants, nous naviguons à vue. En plus, il arrive souvent que l'état de ces patients se dégrade très rapidement, ce qui nous oblige à être constamment sur le qui-vive. » Dans l'archipel, six entreprises sur dix sont en sous-effectifs, et cela vaut aussi pour les hôpitaux. C'est le résultat de trente années de dénatalité : il n'y a pas assez de jeunes qui rentrent sur le marché du travail pour remplacer les vieux qui partent à la retraite. Cette pénurie de personnel accroît encore la charge de travail, et donc le stress, des soignants. « Je suis en train d'essayer de faire le planning des gardes de nuit pour les fêtes de fin d'année, mais là, ça paraît clair qu'on n'y arrivera absolument pas si tout le monde veut prendre congé, donc n'y met pas un peu du sien. » « Depuis l'apparition du virus, en février, j'ai bien perdu 10 kilos. Et pour cause: je n'ai pu prendre qu'une semaine de vacances. Et cet hiver, à mon avis, elles vont encore me passer sous le nez. » Le Japon sacralisant le travail, on y est en permanence prié de donner le maximum de soi et de se dépasser dans le cadre de son emploi. Pour cette infirmière, cette pression est inhumaine et insupportable. « On reçoit énormément de lettres de soutien. Cela nous touche beaucoup, mais... comment dire ? Moi, en tout cas, je trouve que, dans ces messages, il y a comme une injonction qui confine au harcèlement moral.  Car tous ces "Courage !" ces "Tenez bon !'' qu'on nous répète à longueur de journées, en fait, ils veulent dire : "Continuez à endurer en silence l'enfer qu'est devenu votre métier". C'est dur, explique-t-elle. Les gens sont gentils, mais ils n'ont pas idée de notre souffrance au travail et de notre peur quotidienne d'être contaminés. »  Depuis la première vague de l'épidémie – à la mi-février, au Japon –, énormément de soignants ont démissionné : physiquement et nerveusement épuisés.