L'Empire ottoman et la Turquie face à l'Occident : Les courTs du Collège de France

Published: Jan. 17, 2018, 4:10 p.m.

Edhem Eldem Collège de France Histoire turque et ottomane L'Empire ottoman et la Turquie face à l'Occident Année 2017-2018 Transcription de la vidéo : J'inaugure cette nouvelle chaire Histoire turque et ottomane avec un cours, cette année, qui portera sur le long XIXe siècle et sur la transformation de l'Empire ottoman face à l'Occident. L'objectif est d'analyser, d'examiner dans le détail, les dynamiques de ces relations entre un Empire que l'on dit mourant et une Europe qui est extrêmement puissante, qui est de plus en plus arrogante, donc c'est une relation assez conflictuelle mais aussi une relation d'amour, d'admiration puisque la modernisation ottomane va se faire à l'aune de l'Occident, c'est-à-dire qu'on va copier, on va émuler et on va essayer d'imiter ce que l'on considère être une formule de réussite. Alors l'idée est de trouver un rythme pour ce XIXe siècle et ce rythme, je l'établis en trois temps. Un premier temps qui est celui du flirt, en quelque sorte, où l'Empire ottoman commence à découvrir, mais très superficiellement, la réalité occidentale, notamment par des innovations technologiques. Un deuxième temps est celui de l'union, disons presque du mariage. Les Ottomans réalisent que des corrections ponctuelles ne suffisent plus et qu'il faut, par conséquent, se lancer dans un remaniement, une reconstruction de l'État et on se lance dans ce projet avec beaucoup d'enthousiasme, il faut le dire, à partir des années 1840, mais ça n'est pas que l'État, c'est aussi la société que l'on essaie de transformer par le haut et je crois que le point culminant de ce processus, c'est 1856, un décret qui, pour la première fois, parle de l'égalité de tous les sujets. Or, l'égalité, c'est quelque chose qui, dans un contexte ottoman traditionnel, n'a pas de sens puisque c'est une société hiérarchisée où vous avez, déjà, de l'esclavage mais aussi une inégalité de fond entre les musulmans et les non-musulmans. Et pour un moment ça marche. J'appelle ça un printemps des peuples ottomans. Pendant vingt ans, l'État joue le jeu, c'est-à-dire qu'il commence à recruter des non-musulmans dans les rangs de la bureaucratie. Ça ne dure pas longtemps parce que c'est un peu contre nature – c'est le XIXe, c'est l'âge des nationalismes – et surtout la gestion est mauvaise. Au bout de vingt ans il y a un essoufflement à la fois politique et économique qui mène à une crise, et c'est cette crise qui va ouvrir la troisième phase de ce long XIXe siècle, une phase de divorce, en quelque sorte, entre l'Empire ottoman et l'Occident où l'Empire ottoman, pensant être trahi par l'Europe, va se replier sur lui-même. Ça devient un empire de plus en plus islamique, de plus en plus turc, puisque la langue est turque, puisque le nationalisme turc est en train de naître et c'est ce qui fonde l'État turc dans sa modernité et une modernité assez sombre puisque c'est la période des massacres perpétrés contre les Arméniens et qui préfigurent une violence étatique qui va caractériser le XXe siècle. Donc tout cela pour dire que le XIXe siècle est extrêmement formateur, est crucial pour comprendre les dynamiques de transformation d'un Empire en État-nation, un processus fascinant qui mérite d'être étudié dans le détail en donnant la primauté aux voix locales parce que l'un des problèmes de l'historiographie de cette période, c'est que l'on a énormément de sources occidentales qui ont déjà une vision assez biaisée des choses et par conséquent, ce qu'il faut faire, c'est essayer de donner une voix aux textes locaux, aux textes ottomans, pas uniquement turcs, grecs, arméniens, essayer de voir comment cette période se forme et s'exprime à partir d'une documentation que l'on va lire dans le détail pour essayer de comprendre un peu comment ça marche.