07 - La peste noire - VIDEO

Published: March 2, 2021, 6:51 a.m.

Patrice Boucheron Collège de France Année 2020-2021 La peste noire Résumé Pour l’histoire de la peste noire, l’épidémie qui affecte l’ensemble du bassin méditerranéen, et au-delà, de 541 à 749 constitue moins un précédent qu’une comparaison obligée, placée en vis-à-vis historiographique. Si elle occupe une branche morte de l’arbre phylogénétique de Yersinia pestis, sa postérité est ailleurs : dans les enjeux méthodologiques qu’elle pose aux historiens confrontés à la discordance des sources, mais aussi dans l’imaginaire politique : entre hantises collapsologiques du contemporain et horizon eschatologique du Moyen Âge, on tente de comprendre en quoi, au-delà des conventions historiographiques, cette peste peut bien être dite « justinienne ». Sommaire « Il faut continuer… » (Samuel Becket, L’Innommable, 1953) : recommencements La mémoire pathétique des gestes de la peste : quand le corps délivre une mémoire dont nous avons perdu le souvenir (Aby Warburg, Atlas Mnemosyne, 1927-1929) Épaissir le temps de la peste, peupler les mondes de la peste : réassurances des savoirs lettrés et blessure narcissique Yersinia pestis et l’humanité souffrante : une maladie qui n’était pas notre genre Progrès scientifique et horizon de connaissances : la science pose de nouvelles questions à l’histoire La génomique et la discordance des temps, une affaire de rythmes et d’échelles Retour au territoire de l’historien : l’hétérogénéité des régimes documentaires Entre histoire profonde et histoire globale, un regard à mi-pente La peste dite « justinienne » : première épidémie historique Une branche morte sur l’arbre phylogénétique de Yersinia pestis mais un opérateur puissant de périodisation (Yujun Cui, Chang Yu et al., « Historical variations in mutation rate in an epidemic pathogen, Yersinia pestis », PNAS, 2013) Deux morts en Bavière : identification des premières victimes de la peste du VIe siècle au cimetière d’Alternerding Premier bilan, nouvelles interrogations : quelle échelle, quelles datations ? (Marcel Keller, Maria A Spyrou et al., « Ancient Yersinia pestis genome from across Western Europe reveal early diversification during the First Pandemic (541-750) », PNAS, 2019) Ceci n’est pas un puzzle Constantinople, mars 542, « Il y eut en ce temps-là une pestilence qui manqua d’emporter la race humaine tout entière » (Procope de Césarée, Histoire des guerres, 2, 22) Harvard, 2015 : archéologie de la mort de masse (Michael McCormick, « Tracking mass death during the fall of Rome’s empire », Journal of Roman Archaeology, 2015) Constantinople, 536 : « Combien il est étrange, je vous le demande, de voir le soleil mais sans son éclat habituel » (Cassiodore, Variae, 12, 25) Belfast, 2008 : analyse dendochronologique et carottes glaciaires (Michaël Baillie, « Proposed re‐dating of the European ice core chronology by seven years prior to the 7th century AD », Geophysical research letters, 2008) Constantinople, 541 : Justinien, les greniers de l’empire et les rats des navires (Michael McCormick, « Bateaux de vie, bateaux de mort. Maladie, commerce, transports annonaires et le passage économique du bas-empire au Moyen Âge », dans Morfologie sociali e culturali in Europa fra tardo antichità e alto medioevo (Spolète, 1998) Raconter l’histoire depuis le point de vue animal de rattus rattus ? Le « petit âge glaciaire de l’Antiquité tardive » (530-680) : systèmes climatiques et écosystèmes sociaux (Jean-Pierre Devroey, La Nature et le Roi. Environnement, pouvoir et société à l’âge de Charlemagne, 2019) En Scandinavie, du « grand hiver » (Fimbulvetr) au « crépuscule des dieux » (Ragnarök) : Winter is coming (Bo Gräslund et Neil Price, « Twilight of the gods? The “dust veil event” of AD 536 in critical perspective », Antiquity, 2012) Pourquoi la peste du VIe siècle peut être dite justinienne : catastrophe épidémique et retournement de situation politique Combiner les sources, malgré tout : Procope de Césarée et Jean d’Ephèse, « duo improbable », ont bien vu ce qu’ils ont vu (Kyle Harper, Comment l’Empire romain s’est effondré. Le climat, les maladies et la chute de Rome, 2019) Le silo mortuaire des tours de Sykai et le pressoir mystique : « vendange dans la grande cuve de la colère de Dieu » (Jean d’Ephèse, Chronique de Zuqnîn) Une épidémie qui avance par bonds : « Comme un champ de blé incendié, la ville fut soudainement enflammée par la pestilence » (Grégoire de Tours, Histoires des Francs, 9, 22) Ne pas révoquer la valeur documentaire des sources au motif de leur discontinuité (Michael McCormick, « Gregory of Tours on Sixth-Century Plague and Other Epidemics », Speculum, 2021) Les trois temps de la première pandémie : peste byzantine (542-600), accalmie du VIIe siècle (600-660), période ibérique (660-749) (Dimitri Stathakopoulos, Famine and Pestilence in the Late Roman and Early Byzantine Empire: A Systematic Survey of Subsistence Crisis and Epidemics, 2004) « … la peste justinienne, après avoir peut-être contribué à expliquer Mahomet, a pu aussi expliquer Charlemagne » (Jacques Le Goff et Jean-Noël Biraben, « La Peste du Haut Moyen Âge», Annales, 1969) Peste justinienne et peste noire : une comparaison historiographique inévitable La peste et la chute des empires : lectures maximalistes, lectures déflationnistes (Lee Mordechai et Merle Eisenberg, « Rejecting Catastrophe: The Case of the Justinianic Plague », Past & Present, 2019) Kyle Harper et la fin du monde, ou la chute de Rome sans les Romains de la décadence Hantises collapsologiques et horizon eschatologique : la peste justinienne et le Moyen Âge aujourd’hui.