06 - L'Empire ottoman et la Turquie face à l'Occident - VIDEO

Published: Feb. 16, 2018, 10:20 p.m.

Edhem Eldem Collège de France Histoire turque et ottomane L'Empire ottoman et la Turquie face à l'Occident Année 2017-2018 a référence à un « nouvel ordre » est double. Il s’agit avant tout d’un phénomène lié aux événements politiques qui suivirent la période napoléonienne, en particulier au Congrès de Vienne (1815) dont l’objectif premier était de rétablir l’équilibre des puissances d’avant 1789 dans le but avoué d’effacer et de prévenir les mouvements nationalistes, sécessionnistes ou unificateurs et de tout soulèvement populaire jugé déstabilisant pour le système ainsi instauré. L’Empire ottoman, qui parvint à se tenir à l’écart des principaux conflits napoléoniens, ne participa pas au congrès mais en fut un des objets, notamment par la défense de son intégrité territoriale contre les mouvements indépendantistes des Balkans. Pourtant, la rébellion grecque de 1821 qui prit bientôt des proportions de guerre d’indépendance révéla le caractère éphémère de ces résolutions. Après des années de neutralité plus ou moins bienveillante, avec la bataille de Navarin (1827) les puissances européennes finirent par intervenir en faveur des insurgés, menant ainsi à la première entorse au système par la création d’une Grèce indépendante. La notion de « nouvel ordre » est aussi un rappel du terme utilisé par Selim III pour décrire son programme de réforme fiscale et militaire, le Nizam-ı Cedid. Les Nouveaux règlements de l’Empire ottoman de Mahmud Raif Efendi (1798) en étaient un excellent exemple. Toutefois, ce « nouvel ordre » fut aussi la cause d’une réaction menée notamment par les janissaires qui, se sentant menacés par le projet d’une nouvelle armée, s’insurgèrent et obtinrent la destitution de Selim III en 1807 et l’assassinèrent l’année suivante lors de la contrerévolution qui mit le jeune Mahmud II sur le trône. On comprend que, malgré des velléités de continuer l’œuvre de son cousin Selim III, ce dernier ait évité la moindre référence au terme « maudit » qui avait causé sa perte. Le système politique ottoman reposait alors sur un pouvoir central et deux principaux contrepouvoirs : les notables provinciaux (ayan) et le corps des janissaires (yeniçeri ocağı). Les ayan devaient leur puissance à un capital politique, social et économique local, notamment à travers l’agriculture et les fermes fiscales. Le corps des janissaires, créé dès le XIVe siècle comme une milice d’esclaves, dans la logique de l’idéal ottoman des administrateurs et militaires issus du devşirme (levée d’enfants chrétiens des territoires conquis), s’était « embourgeoisé », s’intégrant de plus en plus dans la société et l’économie urbaines, ce qui le rendait encore plus redoutable aux yeux du palais. Mahmud II signera en 1808 le « pacte d’alliance » (Sened-i İttifak) avec les principaux ayan, reconnaissant par là leur statut en échange de leur soutien. Néanmoins, quelques années plus tard, il s’engagera dans une politique visant à réduire l’autorité et l’autonomie de ces magnats des provinces. Ce n’est que bien plus tard qu’il osera enfin à s’attaquer aux janissaires, cette fois-ci de manière décisive. L’« heureux événement » (Vak’a-i Hayriyye) du 16 juin 1826 anéantira manu militari des janissaires, bannissant jusqu’à la mémoire de ce corps et de ceux qui lui étaient affiliés. La destruction de janissaires eut lieu en plein milieu du long conflit qui opposa l’État aux insurgés grecs, de 1821 à la constitution d’un État grec indépendant en 1830. Ce qui avait commencé comme une simple rébellion s’était rapidement teinté d’idéologie et de politique internationale. Si les puissances européennes se tinrent d’abord à l’écart de la question, l’opinion publique en Europe, motivée par le philhellénisme, prit rapidement la défense de la cause grecque. Les massacres de l’île de Chio (1822) et la chute de Missolonghi (1826) ne firent qu’accroître ce phénomène, exacerbé par la présence de nombreux volontaires européens venus défendre, l’arme au poing, une Grèce de plus en plus idéalisée. Pour les Ottomans, c’est la découverte d’une solidarité entre l’Europe et les Grecs dont les fondements idéologiques et sentimentaux paraissent surprenants. La documentation concernant la citadelle d’Athènes (l’Acropole) pendant le siège de la ville par les troupes ottomanes en 1826 illustre particulièrement bien la manière dont les Ottomans sont amenés à découvrir l’importance d’une idéologie européenne qui ne leur était guère familière. Dans le cadre de la chaire Histoire turque et ottomane, une journée d’étude consacrée à l’histoire de l’archéologie phénicienne au XIXe siècle aura lieu le mardi 22 mai 2018. Des spécialistes se réuniront pour débattre des fouilles effectuées à Sidon, des objets transférés aux musées d’Istanbul (Musée impérial, aujourd’hui Musée archéologique) et de Paris (Musée du Louvre) ainsi que des principaux acteurs locaux, ottomans et français ayant joué un rôle dans cet épisode de l’archéologie orientale : Ernest Renan, Osman Hamdi Bey, Alphonse, Edmond et Joseph-Ange Durighello… Parmi les participants pressentis figurent Elisabeth Fontan (Louvre), Hélène Le Meaux (Louvre), Françoise Briquel-Chatonnet (CNRS), Pierre Briant (Collège de France), Hareth Boustany (Université libanaise), Bénédicte Savoy (Collège de France), Henry Laurens (Collège de France). L’artiste libanais Akram Zaatari interviendra sur les fouilles de 1887 et sur les sarcophages de Tabnit (Istanbul) et d’Achmounazar (Paris). Le cours sur « L’Empire ottoman et la Turquie face à l’Occident » reprendra en janvier 2019, vraisemblablement le vendredi 11 de 14h00 à 15h30.